Villes et agglomérations antiques
Au sein des cités antiques, aux côtés des chefs-lieux (Augustonemetum – Clermont-Ferrand, chez les Arvernes ; Ruessio – Saint-Paulien, chez les Vellaves), les territoires sont ponctués d’agglomérations « secondaires » qui ont fortement participé à l’organisation de l’espace. Ces « petites et moyennes » villes – voire ces villages et hameaux, pour reprendre le vocabulaire de la géographie contemporaine – ont été définies en 1986 par Michel Mangin comme « tout site archéologiquement attesté qui se situe entre la ferme ou la villa isolée et la capitale de cité, c’est-à-dire du village de paysans et de la station routière modeste à l’agglomération dont le paysage est très proche de celui de la ville chef-lieu de cité ». Les études en cours sur les cités du Massif central ne permettent pas de mettre en évidence un profil spécifique des agglomérations de moyenne montagne ; elles révèlent au contraire une grande diversité morphologique.
Connexion aux axes de communication
L’analyse de la morphologie des agglomérations (forme générale, raccordement aux voies de communications, position des édifices monumentaux, situation des activités artisanales) permet de faire ressortir plusieurs traits caractéristiques du phénomène urbain dans les cités arverne et vellave. L’observation de la forme générale des agglomérations montre des assises au sol très variables : simple ovoïde comme Varennes-sur-Allier ou Bègues, forme plus allongée comme Charbonnier-les-Mines ou plus complexe comme Ambert, Vichy ou Voingt. Par-delà cette variabilité, on peut distinguer deux types principaux d’organisation :
- les agglomérations « mononucléaires » : Bègues, Varennes-sur-Allier, Vichy, Le Broc, Mauriac, Cournon-d’Auvergne, Issoire, Arpajon-sur-Cère, Voingt, Saint-Flour, Riom-ès-Montagnes, Allanche, Ambert, Charbonnier-les-Mines, Ydes, Pérignat-sur-Allier, et Le Puy-en-Velay.
- les agglomérations « polynucléaires » : La Roche-Blanche, Artonne, Toulon-sur-Allier, Blot-l’Église, le col de Ceyssat, Lezoux et Les Martres-de-Veyre.
Cette diversité s’explique en grande partie par la topographie des sites d’implantation : les agglomérations se sont adaptées au relief sur lequel elles s’installent (plaine, plateau, versant, col ou vallée).
La diversité morphologique des agglomérations est aussi conditionnée par les voies de communications fluviales et terrestres. La proximité d’un cours d’eau conduit à trois situations différentes : – les implantations structurées par le cours d’eau principal (Arpajon-sur-Cère, Les-Martres-de-Veyre, Ambert) ; – par un affluent (Varennes-sur-Allier et Toulon-sur-Allier) ; – par la confluence (Vichy). Les agglomérations peuvent également être implantées en bordure d’un cours d’eau sans que celui-ci n’ait d’impact sur leur installation (Cournon-d’Auvergne, Issoire). Enfin, certaines agglomérations semblent implantées délibérément à distance des cours d’eau (Bègues, Le Broc, Courpière, Saint-Flour, Riom-ès-Montagnes, Ydes, Le Puy-en-Velay). Les agglomérations qui s’adaptent à la topographie fluviale apparaissent souvent marquées par des activités artisanales. Il s’agit notamment des centres de production de céramique sigillée (Les Martres-de-Verres, Cournon-d’Auvergne, Varennes-sur-Allier, Toulon-sur-Allier).
Les voies terrestres ont davantage d’impact sur la morphologie des sites. On observe deux cas de figures principaux selon que l’agglomération est implantée sur la voie ou en bordure. Dans le premier cas, certains sites sont installés sur une seule voie (La Roche-Blanche, Cournon-d’Auvergne, Allanche, Charbonnier-les-Mines), d’autres sur un carrefour de deux voies (Bègues, Voingt, le col de Ceyssat) ; enfin, les dernières sont organisées sur d’importants carrefours routiers (Varennes-sur-Allier, Vichy, Les-Martres-de-Veyre et Le Puy-en-Velay). Dans le second cas, les agglomérations peuvent s’installer en bordure d’une voie (Toulon-sur-Allier, Le Broc, Blot-l’Église, Riom-ès-Montagnes), en bordure d’un carrefour de deux voies (Artonne) ou encore en bordure d’un important carrefour (Pérignat-sur-Allier). Finalement, si la situation sur une seule voie est la plus fréquente, on observe que les agglomérations les plus développées et les centres artisanaux (production de céramique sigillée notamment) sont implantés sur les carrefours les plus importants.
La présence de points de franchissements des cours d’eau par les voies terrestres conditionne également des situations variées, avec des agglomérations installées en bordure du franchissement (Vichy, Toulon-sur-Allier, Les Martres-de-Veyre) et d’autres qui en sont éloignées (Bègues, Varennes-sur-Allier, Ydes). Ainsi, les points de rupture de charge ne structurent pas obligatoirement les sites. D’ailleurs, les agglomérations ne s’installent que rarement de part et d’autre d’une rivière ou au niveau du franchissement qui est alors lié au passage d’une voie terrestre et n’entre pas dans les éléments structurants de l’agglomération.
Topographie monumentale et activités économiques
La localisation des édifices de spectacle au sein des agglomérations est difficilement perceptible en raison d’une connaissance insuffisante du développement des agglomérations équipées (Ceyrat, Corent) et donc de la forme globale des sites. Chez les Arvernes, on ignore si ces monuments étaient installés « en périphérie des sites » comme c’était le cas, selon, Martial Monteil, dans les agglomérations de Bretagne et des Pays de la Loire.
L’implantation des édifices thermaux présente deux cas de figures. Dans certains sites, comme Chassenon ou Onet-le-Château chez les Lémovices et les Rutènes, le bâtiment est intégré au sein d’un complexe monumental. Dans les autres cas, l’édifice est installé en bordure de l’agglomération, comme dans le cas extrême d’Évaux-les-Bains chez les Lémovices avec une galerie d’accès de 700 m de longueur. Plus rarement, comme à Voingt et aux Martres-de-Veyre, l’édifice thermal semble situé à l’intérieur de l’emprise supposée de l’agglomération.
Enfin, pour les lieux de culte, Isabelle Fauduet distingue, à l’échelle de la Gaule, les sites cultuels fondés dans le centre urbain ou dans un quartier d’habitat et ceux placés aux portes de la ville ou en périphérie, qui peuvent alors former un vaste complexe. Ces deux situations sont présentes dans le Massif central. En effet, plusieurs cas comme Voingt, Allanche, Le Puy-en-Velay présentent un temple au cœur de l’agglomération. Dans d’autres cas, le lieu de culte est installé en périphérie, comme à Charbonnier-les-Mines, où le sanctuaire est situé en bordure ouest, de l’autre côté de la voie romaine ; au col de Ceyssat, où l’espace cultuel est localisé dans la partie nord, surplombant le reste de l’agglomération (sans compter le temple de Mercure qui domine au sommet du Puy de Dôme) ; à Bègues, où le sanctuaire pérennise l’emplacement de l’oppidum ; à Blot-l’Église, où le temple est situé au sud-est de l’agglomération, le long de la voie qui mène au secteur minier ; enfin au Broc, où le sanctuaire, implanté au nord de l’agglomération, bénéficie d’un vaste espace libre lui permettant de disposer de l’un des plus grands périboles (enceintes sacrées) de Gaule. La situation d’Arpajon-sur-Cère, vis-à-vis du temple d’Aron, est également particulière en raison de la distance (3,5 km) qui sépare les deux sites qui devaient, l’un comme l’autre, jouer un rôle fondamental dans l’organisation du bassin aurillacois.
Pour conclure, il convient de noter que les agglomérations du Massif central ne disposent pas d’une parure monumentale aussi développée que celle des chefs-lieux. Cependant, dans certaines agglomérations, les monuments pouvaient être parfois démesurés, traduisant une importante activité évergétique.
Au sein de l’espace urbain, la localisation des ateliers artisanaux semble suivre trois configurations différentes avec l’installation d’ateliers en dehors de l’agglomération, la coexistence d’un ou plusieurs ateliers au sein de l’agglomération – situation qui, pour Nicolas Monteix, « reste parmi les caractéristiques fondamentales de la ville romaine » – et l’organisation en quartier artisanal bien identifié comme dans le cas des principaux centres de production de céramique (Varennes-sur-Allier, Les Martres-de-Veyre, Cournon-d’Auvergne et Lezoux). Pour Anika Duvauchelle, qui travaille sur la Suisse, ces situations traduisent « un problème de répartition spatiale des différentes activités artisanales, les métallurgistes étant apparemment disséminés à travers la ville tandis que les potiers sont regroupés dans les faubourgs ». En région Centre, Émile Roux et Jean-Philippe Chimier rappellent que dans le cas d’Orléans les chercheurs « proposent l’hypothèse d’une hiérarchisation des productions : celles destinées à une exportation sont situées en périphérie de l’agglomération alors que les autres, destinées à la consommation locale, sont localisées en ville ». Une situation similaire se retrouve dans les agglomérations arvernes. Pour Jérôme Trescarte, l’implantation spécifique des grands ateliers de production de céramique au sein des agglomérations peut aussi s’expliquer par le risque important d’incendie.
La réalisation des schémas proposés s’est appuyée sur l’analyse des données archéologiques disponibles, simplifiées pour l’exercice en ne retenant comme figuré ponctuel que les édifices monumentaux. Lorsque cela était archéologiquement possible, les quartiers artisanaux et les secteurs miniers ont été distingués. Les informations archéologiques ont été complétées avec la topographie et l’hydrographie afin d’appréhender l’environnement des sites et de mettre en évidence la variabilité des situations vis-à-vis de la topographie et du réseau viaire.
Bibliographie
Baret Florian, Les agglomérations « secondaires » gallo-romaines dans le Massif central, cités des Arvernes, Vellaves, Gabales, Rutènes, Cadurques et Lémovices. Ier s. av. J.-C. - Ve s. ap. J.-C., Thèse de doctorat, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 2015.
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