Les prévôtés de l'Auvergne médiévale
Le conflit franco-anglais de la Guerre de Cent Ans ruine le trésor royal pour subvenir à l’effort de guerre. Des levées exceptionnelles d’impôts sont mises en place pour pallier le déficit ; elles finissent par devenir récurrentes au XVe siècle. Leur mise en œuvre s’appuie, entre autres, sur un nouveau type de prélèvement fiscal : le fouage. Cette taxation, répartie dans les duchés, comtés et provinces, prend comme unité de base le « feu », qui désigne la maison, mais aussi parfois le chef de famille.
À partir des registres de fouage ou d’assiettes d’impôts conservés pour l’Auvergne, il est possible de proposer une cartographie des subdivisions administratives de la province, les prévôtés. Ce terme de prévôté désigne avant tout un territoire donné, sous l’autorité d’un officier, le prévôt. Celui-ci exerce à la fois des fonctions liées à la justice et à l’économie, dont le prélèvement fiscal. Les comptes issus de ces prélèvements sont compilés en registres, sous l’autorité d’un receveur général nommé par l’autorité levant l’impôt.
Dans le cas du XVe siècle en Auvergne, trois archives ont pu être utilisées, une compilation de fouages et deux comptes d’assiette. Les fouages sont réalisés entre 1398 et 1406, à la demande de Jean de France (1340-1416), duc de Berry et d’Auvergne. Ils portent tous uniquement sur la Basse-Auvergne et ses prévôtés. Les deux comptes d’assiettes concernent la province dans sa totalité. Le premier, daté de 1430, dénombre le prélèvement pour la Haute-Auvergne, tandis que le second, établi de 1440, concerne la Basse-Auvergne. Entre les fouages du début du siècle et l’assiette de 1440, et hormis dans les cas des prévôtés de Cusset et Paluet (Palluel dans le document d'archive), peu de changements géographiques sont à noter.
Ces registres, qu’ils soient de fouage ou d’assiette, se construisent tous d’une manière assez semblable. Tout d’abord, un acte administratif émanant de l’autorité perceptrice, comme ici Jean de Berry au début du XVe siècle, ou le roi de France en 1430 et 1440. Vient ensuite le compte du receveur général organisé par prévôté, avec les listes détaillées de paroisses et la somme à prélever dans chacune d’elles. Cependant, le nombre de feux fiscaux ne correspond jamais à la population réelle car l’impôt est réparti entre les solvables. L’identification des paroisses permet d’établir une carte avec les emprises des différentes prévôtés. Elle s’est faite par correspondance des paroisses anciennes aux communes actuelles, tout en prenant en compte les fusions ou démantèlements possibles et connus. Ainsi, une commune actuelle peut comprendre plusieurs paroisses anciennes, être issues d’un découpage, ou être répartie dans deux prévôtés.
Ces prévôtés sont au nombre de onze pour la Basse-Auvergne et de quatre pour la Haute-Auvergne. La géographie du territoire semble alors influer fortement sur l’organisation des prévôtés et donc du prélèvement. Les prévôtés des zones de montagne de la Haute-Auvergne sont vastes et regroupées autour d’un centre urbain fort. Le maillage est plus complexe en Basse-Auvergne, avec notamment des enclaves comme pour la prévôté d’Auzon. On distingue aussi des subdivisions internes, comme les terres du comté d’Auvergne, dites « de Boulogne », et celles du Dauphin dans la prévôté de Nonette, ou encore des zones non clairement définies, comme pour les prévôtés de Cusset et Paluet au nord. Les sièges des prévôtés sont installés dans diverses localités : des Bonnes Villes (Auzon, Brioude, Langeac, Montferrand et Riom pour le bas pays ; Aurillac, Mauriac, Maurs et Saint-Flour pour le haut pays) et des seigneuries ou paréages princiers (Cusset, Nonette, Paluet, Thiers).
Dans les deux espaces des zones vides apparaissent. Elles sont dues au statut d’exempts de certaines localités comme certains établissements religieux (abbayes). C’est aussi le cas pour les Bonnes Villes. Ces localités d’importance, closes par des murailles et souvent placées sous la protection royale, payent à part. Ce sont elles qui, réunies en assemblée avec les représentants des deux autres états (clergé et noblesse), décident de la répartition de l’impôt. Il apparait aussi que selon l’époque du prélèvement, certaines paroisses dans les confins appartiennent soit à la Basse-Auvergne, soit à la Haute-Auvergne. Une prévôté peut aussi déborder sur un territoire voisin, comme celle de Langeac qui intègre plusieurs paroisses du diocèse du Puy, appartenant aux États du Languedoc. Il faut aussi noter une absence de cohérence complète entre les limites diocésaines et les subdivisions économiques. Ainsi, les prévôtés de Cusset et Paluet ne comprennent pas l’ensemble des paroisses relevant pourtant du diocèse de Clermont. De même, les prévôtés de Brioude et de Langeac sont réparties entre les diocèses de Clermont et Saint-Flour, dont le découpage de 1317 n’avait pas suivi la séparation entre Haute et Basse-Auvergne. Les limites économiques, et par extension politiques, ne sont donc pas définitivement arrêtées.
Source(s)
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BnF, Ms. Fr. 23898, Assiette et impôt de la portion due par le bas pays d’Auvergne, sur l’aide de 30 000 francs tournois octroyée au roi par les gens des trois États des haut et bas pays d’Auvergne au mois de janvier 1441 (n.s.).
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