La Limagna d’Overnia de Simeoni
et la bataille de Gergovie

Les Commentaires sur la Guerre des Gaules sont le récit par César de ses campagnes militaires. Fruit des notes prises par le proconsul lui-même, ce journal n’est toutefois pas un simple carnet de terrain. Dès sa diffusion, les cercles lettrés s’accordent à lui reconnaître de réelles qualités littéraires. Cet intérêt se retrouve au XVIe siècle dans un livre de Gabriel Simeoni (1509 - vers 1575). Protégé par l’évêque de Clermont, celui-ci publie en 1560 une Description de la Limagne d’Auvergne en forme de dialogue. Ouvrage qui renferme une carte de la bataille de Gergovie, victoire des peuples gaulois sur les légions romaines en 52 av. J.-C. Cette représentation cartographique, intitulée La Limagna d’Overnia, l’une des premières d’une partie du territoire auvergnat - et de France à cette échelle -, se nourrit de l’œuvre de César. Elle constitue à la fois un témoignage de la conception cartographique d’une époque et une tentative de traduction dans l’espace d’un récit littéraire.

Un humaniste italien en Auvergne

La parfaite connaissance de la Limagne de Simeoni s’explique à la lumière des séjours qu’il effectue en Auvergne auprès de l’un de ses protecteurs, l’évêque Guillaume Duprat (1507-1560). Le château de Beauregard, demeure de villégiature des prélats clermontois, devient sous son épiscopat un rendez-vous de savants. Gabriel Simeoni, ancien condisciple de Duprat à la Sorbonne, en est l’un des habitués. De son exploration de ce pays d’adoption, il tire une Description de la Limagne d’Auvergne en forme de dialogue, accompagnée d’une carte. Paru tout d’abord en italien en 1560, une version française en est publiée dès l’année suivante.

La Limagna d’Overnia est une gravure sur bois, orientée à l’ouest. Le nord se trouve donc à droite. Le graveur n’est pas connu mais il est possible qu’il s’agisse soit de Pierre Eskrich (appelé également Pierre Vase), soit du « Maître à la capeline ». La carte est inscrite dans une circonférence encadrée des armoiries de Catherine de Médicis, de Guillaume Duprat, de la ville de Clermont, et de l’auteur. L’ensemble est surmonté d’un grand cartouche dans le style italien orné de deux chimères, contenant une dédicace à Catherine de Médicis. En bas, on trouve un autre cartouche ornementé où on peut lire un extrait de La guerre civile (La Pharsale) de Lucain. Au-dessous, sur quatre lignes, l’auteur a rédigé une courte description géographique de la Limagne en latin. Tout en bas ont été reproduits un compas sur une règle, ainsi qu’une maxime grecque (dont le sens serait : « la meilleure mesure de toute chose »).

L’objectif majeur poursuivi par Simeoni est d’établir l’emplacement de l’oppidum gaulois. Jusqu’alors, selon une tradition ancienne, la plupart de ses contemporains plaçaient le lieu de la bataille de César contre Vercingétorix à Clermont. Les villes de Saint-Flour et de Moulins revendiquaient également d’avoir été le théâtre de cet événement. Gabriel Simeoni, passionné d’antiquité, traducteur et commentateur de l’œuvre de César, entreprend des recherches pour trouver le lieu exact de la fameuse bataille. Il a la conviction que ce site est proche de Clermont, mais ne se confond pas avec la ville, sa butte étant trop facile à gravir contrairement à ce que décrit César. Afin de réaliser cette représentation il ne s’appuie sur aucun relevé topographique. Il s’agit là de méthodes qui se généralisent seulement au siècle suivant. Seules ses observations lui permettent donc de donner une vue cavalière de la Limagne. Ayant plusieurs fois voyagé entre Clermont et Lyon, Simeoni se trouve alors sur les hauteurs de la ville de Thiers. Á cet effet, il s’est fait représenté de dos face au paysage qui s’offre à lui. Bras droit tendu, muni d’un compas, des instruments de dessin sont posés sur le sol auprès de lui, tandis qu’un serviteur tient son cheval.

Au bas du plateau nommé « Merdogne » selon la toponymie, Simeoni découvre les ruines d’une tour qu’on appelle « Gergoye ». Dès lors, par une méticuleuse observation du terrain comparée avec le texte césarien, il s’emploie à retracer les mouvements des troupes romaines. Pour plus de clarté, il figure par les lettres de A à R les divers épisodes correspondant aux extraits qu’il a sélectionnés. Il mentionne (lettre A) l’avancée des troupes romaines le long de l’Allier, puis son franchissement (lettres B et D) qu’il situe à proximité du château de Dieu-y-soit, alors propriété de Catherine de Médicis, dont le blason se trouve également accolé à l’édifice. Ce choix entend rendre un hommage appuyé à la reine-mère, dont il a été l’un des astrologues. En effet, contrairement à ce qu’indique Simeoni, le pont emprunté par César se situe plus vraisemblablement en aval de la rivière. La lettre P indique l’emplacement de la tour qui a mis notre érudit florentin sur la piste de Gergovie. Il situe le grand camp de César sur l’oppidum de Gondole (lettre E, les fouilles les plus récentes ont montré que le grand camp se trouvait non pas à Gondole même, mais entre ce lieu et le plateau de Gergovie), le petit camp sur la colline du Crest (lettre H, de même, les archéologues pensent aujourd’hui que la colline en question est celle de la Roche-Blanche, et non pas du Crest). La manœuvre de diversion tentée par César se serait déroulée alors à Montrognon (lettre M). On suit ainsi le déroulement de la bataille jusqu’au dernier épisode (lettre R) : celui du repli des troupes romaines.

La Limagna d’Overnia de Simeoni, 1560 (BPCAM, CA DEL 1723)

Les cartographies de Simeoni

Au-delà d’une première apparence pittoresque, et d’imperfections bien compréhensibles au vue du contexte scientifique de sa réalisation, La Limagna d’Overnia témoigne d’une grande finesse d’observation de Simeoni, notamment dans l’analyse des éléments paysagers, ainsi qu’un certain sens esthétique pour mettre en valeur ses principales composantes. En effet, le choix d’inscrire sa carte dans un cercle lui permet de souligner les caractéristiques topographiques et géologiques du lieu, la plaine de la Limagne correspondant à un bassin sédimentaire effondré entre les massifs du Livradois et du Forez à l’est et à l’ouest le plateau portant le massif des Dômes, et au-delà celui du Sancy qu’il a également représenté. Une disposition du relief au sein duquel la Limagne apparaît comme enfermée dans un écrin montagnard. Un caractère défensif qui est présenté comme un avantage stratégique.

Une lecture attentive montre qu’il a découpé sa carte selon les trois unités paysagères que le géographe Max Derruau reconnaîtra en 1949. Á l’est, depuis la région de Randan jusqu’à celle de Lezoux, l’espace est occupé par les Varennes qui correspondent à de grandes nappes alluviales. Composées de sables et de galets, ce sont des terres pauvres qui se distinguent par un paysage bocager et des forêts. Á l’ouest, la Limagne des buttes, pour sa variante volcanique et la région de Châtelguyon pour sa variété calcaire, reconnaissable par son allure moutonnée. Au centre de la carte, entre les Varennes et le Pays des buttes, s’étend la zone marneuse, celle des « Marez » mentionnés sur la carte. Cette Limagne des terres noires n’est pas uniformément plane, mais constituée des basses terres des marais mal drainés et des « Hauts », qui correspondent à d’anciennes terrasses alluviales. Or il semble bien que Simeoni ait repéré ces détails de la topographie. Ainsi, les traits horizontaux utilisés pour rendre compte du caractère plan des marais s’arrondissent parfois pour prendre la forme de croupes de faible amplitude. D’une manière générale, les arbres isolés qui, sur La Limagna d’Overnia, ponctuent la plaine marneuse ont ici encore une fonction plus documentaire que décorative. Ils renvoient à une particularité paysagère de la Limagne : la plantation en bordure de parcelles d’arbres nourriciers, souvent des noyers.

La finesse d’observation de G. Simeoni se manifeste également dans le rendu du bâti. En effet, chaque lieu (une centaine au total) est dessiné avec assez de précision pour qu’on reconnaisse les monuments qui le caractérisent. La question se pose de savoir si l’auteur a eu recours à son imagination ou si leur architecture est fidèle à une certaine réalité. En l’espèce, nous disposons d’une référence antérieure. Au milieu du XVe siècle, Charles Ier, duc de Bourbon, commande à son héraut d’armes Guillaume Revel un armorial. Cet ouvrage livre la représentation des chefs-lieux de nombreuses seigneuries. En tout, près d’une cinquantaine de vues concerne l’Auvergne, dont une quinzaine se situe en Limagne. Les similitudes sont remarquables entre les deux dessins. Nous nous limiterons ici à une présentation très succincte de trois exemples (ci-contre). Dans le cas de Clermont, on note les fortifications en partie crénelées ou les tours de la cathédrale située sur sa butte. Pour sa part, le château du Crest présente la même architecture massive. Enfin, à Châtel-Guyon, le village apparaît distinctement au pied du château. Celui-ci se présente, de la même manière, sous la forme d’un édifice dont la partie centrale, de plan quadrangulaire, est défendue par trois tours circulaires. Certes, il subsiste des différences dans les détails. Il ne faut pas oublier qu’un siècle sépare ces deux types de représentation. Les bâtiments ont pu connaître des remaniements plus ou moins profonds. Cependant, cette juxtaposition informe sur le degré d’exactitude propre à chaque auteur. Il en résulte que l’un et l’autre sont assez fidèles aux modèles qu’ils ont sous leurs yeux.

Amoureux des lettres et des sciences, Gabriel Simeoni livre une méthode originale. Passionné par la recherche de Gergovie, il a estimé qu’une représentation cartographique avait valeur de preuve afin d’étayer ses thèses archéologiques. Ainsi, s’appuyant sur un récit littéraire, Simeoni est le premier à proposer une identification sérieuse du site. Sa Limagna d’Overnia est une œuvre précurseur. En outre, par sa précision, elle constitue un document précieux sur ce territoire auvergnat au XVIe siècle, ses villes, ses églises, ses châteaux.

Source(s)

Simeoni Gabriel, Dialogo pio et speculativo, con diverse sentenze Latine & Volgari, in Lione, Apresso Guglielmo Roviglio, 1560, 230 p. (BPCAM, R 5286)

Description de la Limagne d’Auvergne, en forme de dialogue, avec plusieurs médailles, statues, oracles…et autres choses mémorables…Traduit du livre italien de Gabriel Symeon, en langue françoyse, par Antoine Chappuys du Dauphine, Lyon, G. Roville, 1561, 144 p. (BPCAM, A 30170)

Bibliographie

Deberge Yann, Guichard Vincent, « Nouvelles recherches sur les travaux césariens devant Gergovie (1995-1999) », Revue Archéologique du Centre de la France, t. 39, 2000, p. 83-111

De Boos Emmanuel, L’armorial d’Auvergne, Bourbonois et Forestz de Guillaume Revel : Atlas et planches, Nonette, Créer, 1998, 3 vol.

Derruau Max, La grande Limagne auvergnate et bourbonnaise, Grenoble, Imprimerie Allier, 1949

Fournier Gabriel, Châteaux, villages et villes d’Auvergne au XVe siècle, d’après l’Armorial de Guillaume Revel, Paris-Genève, Droz-Arts et Métiers graphiques, 1973

Renucci Toussaint (éd. critique par), Gabriel Symeoni florentin (1509-1570 ?). Description de la Limagne d’Auvergne, Paris, Didier, 1943

Renucci Toussaint , Un aventurier des lettres du XVIe siècle, Gabriel Symeoni florentin (1509-1570 ?), Paris, Didier, 1943

Trément Frédéric (dir.), « Un ancien lac au pied de l’oppidum de Gergovie (Puy-de-Dôme) », Gallia, t. 64, 2007, p. 289-351