La géologie,
mère de toutes les cartes

Nos vies se déroulent à la surface de la Terre, à l’interface entre l’atmosphère et les roches. Si la première est mouvante, les secondes sont fixes et permettent l’ancrage au sol de nos activités. Les roches qui nous concernent sont d’une extrême diversité, quant à leur composition, leur texture ou leur structure. Tous ces aspects témoignent de leur âge et de leur histoire. Cette dernière, en particulier, explique l’organisation spatiale des terrains. Mais chacun sait, qu’à notre échelle, la surface de la Terre est loin d’être lisse. C’est là qu’intervient l’atmosphère. Son action mécanique via le vent n’est pas négligeable, mais elle reste en retrait des effets de l’eau, ramenée en permanence des océans vers l’intérieur des terres par la circulation atmosphérique. Une fois précipitée, l’eau s’écoule, altère et érode. La trame des roches est alors révélée sous forme de reliefs et c’est finalement parmi eux que nous organisons nos vies.

Du terrain à l’homme

La diversité des roches, leur âge et leur histoire relèvent des sciences géologiques. Lorsque l’on reporte la géologie d’une région sur une carte, on dit souvent que celle-ci permet de visualiser son bâti géologique. Ainsi la carte ci-contre, simplifiée en regroupant les terrains par grandes unités temporelles ou génétiques, permet de décrire le bâti géologique régional, c’est-à-dire sa charpente.

Les éléments constitutifs se regroupent en trois ensembles :

  • Le socle varisque, c’est-à-dire le substratum aplani de toute la région composé de terrains de la chaîne hercynienne, des granites et des roches métamorphiques pour l’essentiel. Ces formations âgées de 300 à 350 millions d’années (Ma) remontent pour certaines à plus de 540 Ma.

  • Les sédiments qui remplissent les dépressions, surtout des sables, des argiles et des calcaires.

  • Le volcanisme récent de moins de 20 Ma, mélange de coulées de lave, de brèches et de cendres.

À ces natures différentes de roche se superpose leur structuration par la tectonique. Celle-ci se manifeste par de nombreuses failles. Ces cassures sont orientées selon trois grandes directions principales, SO-NE, SE-NO et N-S, par importance croissante. Le Sillon Houiller qui balafre l’ouest du territoire, et la grande faille de la Limagne en position axiale, en sont les plus spectaculaires. Ces failles délimitent des compartiments plus ou moins décalés en altitude les uns par rapport aux autres. Les plus bas forment les bassins où s’accumulent les sédiments comme les limagnes, le bassin du Puy-en-Velay, celui de Montluçon, etc.

Le rehaussement en altitude  est un autre effet de la tectonique qui se manifeste spécifiquement sur notre territoire. Depuis 20 Ma, son altitude moyenne est passée de celle du niveau de la mer à plus de 798 mètres tandis qu’elle culmine à 1885 mètres au Puy de Sancy.

Ce bâti géologique est en permanence soumis aux agents climatiques, la pluie, la glace, le soleil, la végétation, qui vont avoir pour effet de ciseler des reliefs en mettant en évidence les contrastes de résistance des roches et en révélant en creux les zones de faiblesses liées aux failles. La topographie, matérialisée sur la carte par la superposition d’un modèle numérique de terrain (MNT) plus ou moins ombré, est ainsi directement contrainte par le bâti géologique : le sens d’écoulement des rivières, leur importance, la place et l’orientation des vallées, la place et l’étendue des plaines, comme les barrières topographiques qui cloisonnent l’espace. En Auvergne s’ajoute la formation des grands volcans du Cantal et du Mont Dore. Ils participent, certes, à la structuration de l’espace avec leurs roches de résistance variée, mais surtout leur édification récente a créé des zones d’altitude élevée, des reliefs postiches, qui ont permis la mise en place de grands glaciers au cours des dernières glaciations, et le creusement des longues vallées divergentes autour des massifs.

Ainsi, fondamentalement, sur les cartes géographiques, c’est le bâti géologique qui explique la plupart des implantations de cités ou de châteaux, la place des voies de circulation, les plaines cultivées ouvertes (Bourbonnais) et en cul de sac (Limagnes), les limites des anciennes provinces, des évêchés, des communes… Naturellement cette adéquation entre le bâti géologique et l’occupation humaine est moins systématique aujourd’hui alors que nous disposons de moyens techniques très puissants pour tracer nos voies de circulation (tunnels, tranchées, ponts géants, etc) et que les choix politiques et administratifs se prennent loin du terrain.

Du terrain à la carte

Dès lors, si la topographie est fidèle au bâti géologique, sa représentation cartographique sur papier, ou mieux sous forme sculptée (en 3 dimensions ou 3D), permet en retour de documenter davantage le bâti géologique et de le visualiser facilement. Jean-Louis Giraud-Soulavie (1751-1813), sans doute le père de la géomorphologie, l’avait bien compris. Il expose en 1780 comment réaliser une carte en relief composée d’un grand nombre de petits cubes d’argile ou de cire qu’il emmenait sur le terrain malgré son poids de 66 livres (32,3 kg), afin de la sculpter face au paysage réel.

Puis, avec des outils plus modernes de cartographie et l’utilisation de la photographie, Édouard Vimont (1829-1903), bibliothécaire et Édouard Bréard, photographe, réalisent en 1875 une image auto explicative des volcans du Puy de Dôme au Pariou. Ce document illustre l'aspect lunaire des volcans d'Auvergne à une époque où la végétation arborée était quasi inexistante. Il s'agit probablement de la photographie d'une maquette de la Chaîne des Puys prise par Bréard et éditée par Vimont à Clermont-Ferrand. Quinze volcans sont représentés. Leurs formes intactes dispensent l’auteur de toute surcharge interprétative. On ne peut qu’être confondu devant la richesse et la fidélité des détails représentés, même si ceux-ci sont parfois amplifiés. Beaucoup ont été oubliés sous la forêt pendant près de 140 ans, jusqu’à la mise en œuvre de la technique LIDAR en 2011 dont une vue est présentée ci-contre. Son emprise et son échelle sont proches de celle de l’image de Vimont et Bréard.

Cette dernière technologie est mise en œuvre par un aéronef qui survole la zone d’intérêt et la balaye à l’aide d’un faisceau laser. Le temps de retour des réflexions lumineuses sert à mesurer la distance entre l’appareil et les obstacles. Naturellement, pour produire un levé complet, il faut que le rayon laser puisse pénétrer jusqu’au sol. Cependant, il subsiste quelques trous lorsqu’il est arrêté par le toit des bâtiments mais aussi par les résineux aux branches fournies ou en plantation serrée. Toutes ces mesures sont parfaitement recalées dans un référentiel géographique à l’aide de satellites et de cibles de référence au sol. Des traitements informatiques ultérieurs permettent de distinguer les échos du sol de ceux du « sursol » (végétation, bâtiments, objets mobiles). La surface du sol ainsi détectée permet de calculer un modèle numérique de terrain (MNT) qui se présente sous forme d’une liste de points parfaitement positionnés. Celle du document LidArverne, présenté ici, a un pas de 50 cm avec une précision planimétrique et altimétrique de 10 cm. Ces MNT peuvent être manipulés par des logiciels dédiés pour les visualiser en ombrage comme sur la figure jointe, pour générer des images en perspective pseudo-3D, pour piloter des machines-outils ou des imprimantes 3D afin d’obtenir des maquettes en relief, ou pour servir à des calculs (pentes, orientation, points de vue…) et des modélisations (écoulements, aménagements, etc).

On peut considérer la donnée obtenue comme « objective » et à ce titre, la comparaison de la photo de Vimont et Bréard et celle de la même zone levée par LIDAR, si elle montre bien les écarts de positionnement géographique liés à la précision différente des mesures, souligne aussi les « embellissements » apportés par ces derniers pour rehausser la vigueur des cratères et autres reliefs remarquables de la zone. Il ne faudrait pas en conclure que la visualisation du MNT est forcément objective. Des manipulations techniques peuvent augmenter l’effet visuel : l’utilisation d’une échelle logarithmique pour l’altitude afin de rehausser les petits reliefs par rapport aux plus élevés, la multiplication des sources lumineuses virtuelles et de leur position pour jouer avec les ombres, les réglages divers du degré de réflexion des surfaces pour avoir des contrastes différents ou bien le drapage d’images variées (photo aériennes et cartes actuelles ou anciennes, reconstitutions historiques, etc). Mais à la différence du travail de 1875, ces traitements modernes sont parfaitement quantifiés, donc descriptibles et reproductibles. Le résultat de ce type de manipulations est visible sur la carte géologique présentée dans cette contribution, où le relief est illustré par un ombrage calculé et manipulé à partir du MNT IGN.

Nous pouvons donc espérer avoir approché, sinon atteint, le but auquel rêvait Giraud-Soulavie : avoir un objet cartographique capable de rendre compte des reliefs et d’en aider à l’explication de la façon la plus immédiate. Nos outils modernes simplifient ce travail tout en augmentant sa rigueur et sa précision. Ils permettent de réaliser des cartes très lisibles malgré la complexité et la quantité d’informations représentées. Ils facilitent aussi la production de documents esthétiques pour les cartographes qui ont la fibre « artistique ».

Le puy de Dôme et les volcans voisins

Vimont Édouard et Bréard Édouard, 1875
BPCAM (cote CA 8)
LidArverne, 2011

Source(s)

BRGM, Carte géologique de l’Auvergne au 1/1 000 000e, 2014

Giraud-Soulavie Jean-Louis, Histoire Naturelle de la France méridionale, Nîmes, Belle [Volumes 1-7], Hôtel de Venise, et chez J. F. Quillau, Marigot l'aîné, Paris, Belin, 1780-1784

IGN, Modèle numérique de terrain de l’Auvergne 50 m, 2001

LidArverne, Modèle numérique de terrain au pas de 50 cm/pixel de la Chaîne des Puys, Collaboration LMV-OPGC, LMC, MSH, UBP, Augustonemetum, Coordination Centre Régional Auvergnat de l’Information Géographique (CRAIG), Scientific control P. Labazuy, LMV-OPGC, 2011

Bibliographie

Calvet Marc et al., "Regards croisés sur l’histoire et l’épistémologie de la géomorphologie", Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2/2007 (mis en ligne le 1er juillet 2009), http://geomorphologie.revues.org/752

Hustache Marie-Louise, Jean-Louis Soulavie (1752-1813), notice 756, Édition électronique revue, corrigée et augmentée du Dictionnaire des journalistes (1600-1789), 1999, http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/756-jean-louis-soulavie