Présentation générale

Le fonds cartographique conservé par la Bibliothèque du Patrimoine illustre de manière assez exemplaire l’orientation régionale voulue, dès la première moitié du XIX^e siècle, par les bibliothécaires en charge de la constitution des collections. En effet, un dépouillement des catalogues et registres d’entrée révèle que si la part des cartes et plans y est toute relative - à l’image du reste de ce qu’elle pouvait représenter au sein de la production imprimée d’alors, dont la croissance est exponentielle -, ceux-ci font néanmoins partie intégrante du long et patient développement documentaire à la faveur duquel s’est progressivement constitué le fonds régional dont nous avons hérité.

Un regard même superficiel à l’inestimable catalogue du bibliothécaire Édouard Vimont (1829-1903) permet déjà d’évaluer la part des documents cartographiques dans l’économie globale des collections, le cinquième volume, publié en 1888, répertoriant plus de 550 références de cartes et plans stricto sensu. Il met surtout en évidence le fait que les documents cartographiques bénéficient d’un traitement intellectuel et catalographique rigoureusement égal, comme l’atteste le classement thématique détaillé dont ils font l’objet. Signalons en particulier, parmi les cartes dites « spéciales » relatives à l’Auvergne (le cas échéant distribuées par départements), les cartes géologiques et minéralogiques, celles relatives aux eaux minérales et aux mines, les cartes historiques et archéologiques, celles encore relatives aux voies de communication. Pour les plans de Clermont-Ferrand, outre les plans de quartiers et d’alignements, on remarque les plans de promenades et d’établissements, ou encore ceux d’édifices et de monuments (parmi lesquels des projets de construction et de restauration). Enfin, pour prolonger notre propos sur l’approche délibérément régionale, le seul fait que soient distingués les documents relatifs à l’Auvergne est en soi significatif, à une époque où ces derniers sont encore inférieurs en nombre à ceux du « catalogue général » (France, autres pays).

Témoigne enfin de cet « intérêt cartographique » ancien le fait que tant dans les achats que dans les dons et legs faits à la bibliothèque, y compris en provenance de leurs propres administrateurs - au premier rang desquels Benoît Gonod, Gabriel Desbouis et Édouard Vimont, éminents bibliothécaires dont les collections privées étaient manifestement substantielles, en lien avec leurs domaines d’intérêt et de recherche respectifs - on remarque que les cartes n’étaient pas oubliées (voir à titre indicatif le Catalogue des livres et estampes concernant l’ancienne province d’Auvergne, réunis par feu M. G. Desbouis, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand, Paris, [s.n], 1865). Sur la période 1887-1947, il apparaît qu’aux achats ponctuels et au regroupement d’autres collections de cartes et plans (anciens fonds municipaux notamment) s’ajoutent régulièrement des dons soit isolés (en provenance d’un architecte, ou encore d’un membre du clergé), soit à l’occasion du don ou legs de tout ou partie d’une collection privée. À cet égard, signalons parmi les anciens possesseurs l’éminent historiographe et généalogiste Ambroise Tardieu, le bibliophile brivadois Paul Le Blanc, Francisque Mège, Louis Tisserand, ou encore l’universitaire Georges Desdevises du Dézert. À partir de 1947, les documents cartographiques reçus au titre du « Dépôt légal imprimeur Auvergne » complètent les acquisitions courantes et rétrospectives.

Ce n’est pourtant qu’au début des années 2000 que le fonds cartographique de la bibliothèque prend l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui, à la faveur de l’acquisition par la ville de Clermont-Ferrand de l’importante collection du libraire Pierre Delaunay. Celle-ci comporte en effet plus de 500 cartes du XVI^e au XX^e siècle relatives à l’Auvergne, de nombreux plans de la ville de Clermont - pour lesquels M. Delaunay avait entrepris une étude historique avec l’historien Pierre-François Fournier -, des atlas ainsi que de précieux dossiers documentaires et notes manuscrites qui restent encore à exploiter. Parmi les pièces remarquables de sa collection figurent celles issues des presses des grands éditeurs flamands et hollandais de cartes et d’atlas des XVI^e et XVII^e siècles.

Le degré d’exigence et le souci d’exhaustivité qui ont présidé à la constitution de cette collection se traduisent non seulement parce que tous les thèmes de la cartographie y sont représentés (cartes géologiques, géographiques, routières, topographiques, touristiques, etc.), mais aussi par le fait que les cartes anciennes peuvent présenter des variations (format, couleurs, ajouts...). L’état de conservation de la collection est globalement excellent, M. Delaunay privilégiant les cartes en très bon état d’origine, non restaurées et surtout ni découpées et entoilées.

La collection Delaunay recouvrant toute la cartographie de l’Auvergne dans l’espace et dans le temps, avec les caractéristiques que l’on a indiquées, on comprend pourquoi celle-ci, venant providentiellement compléter près de deux siècles d’acquisitions, permet à la Bibliothèque du Patrimoine de posséder un ensemble quasi exhaustif des cartes de l’Auvergne.

Les collections

Ce fonds cartographique constitue aujourd’hui un corpus exceptionnel composé d’environ 1700 cartes et plans allant du XVI^e siècle à nos jours, parmi lesquels un important ensemble datant des XVI^e, XVII^e et XVIII^e siècles. Il convient d’y ajouter les dizaines de volumes que constituent notamment les atlas anciens, les recueils de planches et autres imprimés (grandes cosmographies notamment), dont l’intérêt cartographique prime, pour notre propos, sur la stricte classification par supports.

Sur ces 1700 occurrences de cartes et plans au catalogue, environ 1200, soit plus des deux tiers concernent l’Auvergne, entendue comme organisation territoriale issue de la création des circonscriptions de « programmes d’action régionales » en 1955-1956. Ces documents représentent soit tout le territoire de l’Auvergne, voire bien au-delà pour les cartes de l’Ancien Régime, lesquelles déclinent toute la palette des différentes entités administratives composant l’Auvergne (duché, gouvernements, provinces, avec les variations que l’on sait), soit des cartes partielles (« pays », circonscriptions de différents ordres : judiciaires et religieuses pour l’Ancien Régime, électorales...), soit l’un des quatre départements institués en 1790. Il faut mentionner aussi les cartes d’environnement figurant les villes et leurs « environs », parmi lesquelles on peut signaler une intéressante carte d’État-major du Mont-Dore, de La Bourboule, de Saint-Nectaire et de leurs environs (1891).

Quant aux plans, ils figurent et restituent l’évolution des principales villes (Clermont-Ferrand, Riom, Issoire, Brioude...) et localités auvergnates. On compte parmi eux des plans topographiques de l’État-major des armées représentant plusieurs villes de chacun des quatre départements. On trouve également des vues perspectives (dont le plus ancien plan conservé de Clermont, vue cavalière attribuée au peintre clermontois François Fuzier en 1575), des plans d’ensemble de villes et, pour Clermont-Ferrand et Riom, des plans d’urbanisme concernant les différents quartiers ainsi que divers édifices. Mentionnons dans cette catégorie l’intéressante série, inaugurée en 1832, de plans géométrique de la ville de Clermont-Ferrand dressés par Auguste Sauty, mettant en évidence l’évolution de l’urbanisation de la ville et des faubourgs, ou encore les plans d’urbanisme et de construction relatifs à la ville de Riom attribués à l’architecte Michel-Amable Richier (1754-1836).

De fait, ce fonds cartographique retrace autant l’histoire de l’Auvergne que, à travers elle, celle de l’évolution de la cartographie, dans sa dimension à la fois scientifique et, indissociablement technique, les instruments de cartographie évoluant parallèlement aux techniques d’impression (gravure sur bois, sur cuivre, lithographie...) et d’ornementation.

À l’échelle de la collection, tous les thèmes de la cartographie sont ainsi représentés : aux cartes topographiques, administratives et militaires s’ajoutent en effet des cartes géologiques, hydrographiques et climatologiques ; des cartes économiques, démographiques, relatives aux transports et aux ressources naturelles (forêts...) ; des cartes touristiques et, même, sportives (parmi lesquelles l’emblématique carte du circuit automobile Auvergne de la coupe Gordon Benett en 1905, première carte éditée par la manufacture de pneumatiques Michelin, qui va s’imposer dans la production de cartes routières et de villes).

En outre, on trouve représentés dans les collections les meilleurs artisans et les plus éminents représentants de l’édition cartographique, au premier rang desquels les tenants des écoles cartographiques flamande et hollandaise de la fin du XVI^e au XVIIe siècle : les précurseurs Apian, Mercator et Ortelius, puis les Jode, Hondius, Blaeu et Janssonius, dont les cartes et les atlas constituent parmi les plus belles pièces de la collection. L’édition cartographique française des XVII^e et XVIIIe siècles n’est pas moins représentée (cartes de Nicolas Sanson, Desnos, Dezauche, Atlas géographique de Delisle...) et les grandes entreprises cartographiques des XVIII^e et XIX^e siècles (carte de Cassini, Atlas Levasseur, carte dite « d’État-major », cartes géologiques des Ingénieurs des Mines, cartes des Pont-et-Chaussée, etc.).

Enfin, il convient de remarquer que les imprimeurs-lithographes clermontois sont mis en lumière par de nombreux documents cartographiques de la collection. Parmi ces derniers les plans géométriques de la ville de Clermont de Sauty déjà cités, édités par Thibaud-Landriot, ou encore la Statistique monumentale du département du Puy-de-Dôme de Jean-Baptiste Bouillet et son atlas de planches, en tête duquel figure la « Carte monumentale du département du Puy-de-Dôme », imprimés en 1846 par les soins de l’imprimeur-lithographe clermontois Jean-Noël Pérol.

De l’ensemble des plans historiques de Clermont-Ferrand se distingue une pièce hors-norme, le « Plan géométrique de Clermont levé et lavé par Augustin Loriette. Dédié à Messieurs les Officiers municipaux sous la Mairie de M. Sablon ». Ce plan manuscrit lavé de plusieurs couleurs, daté de 1791, ne mesure pas mois de 2,40 sur 4,50 mètres. Représentant Clermont et Montferrand, ce plan à l’origine collé sur toile et monté sur rouleau a été ultérieurement découpé en 20 feuilles, à nouveau assemblées à l’occasion d’une restauration achevée en 2010. On appréciera la mise en scène révolutionnaire et républicaine du cartouche (incrusté dans un édifice néo-classique pavoisé, arborant à son fronton la devise « Vivre libre ou mourir. 1791 »).

Les axes de valorisation

La collection de cartes et plans constituée par la Bibliothèque du Patrimoine a fait l’objet d’un programme de recherche et de valorisation destiné à lui apporter une plus grande visibilité, tant pour la recherche universitaire que pour le grand public.

Le fonds Delaunay a d’abord bénéficié d’une campagne de numérisation dans le cadre de l’appel à projets « Patrimoine écrit » lancé en 2011 par le Ministère de la Culture et de la Communication. Fort du soutien de la DRAC Auvergne, de l’appui scientifique de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) et du Centre d’Histoire « Espaces et cultures » de Clermont-Ferrand, le projet présenté a été retenu.

Numérisé dans le cadre d’un appel d’offre de marché public à partir du printemps 2012, le fonds Delaunay a depuis lors été mis en ligne sur Overnia, la bibliothèque patrimoniale numérique de Clermont Auvergne Métropole, au sein du corpus « Cartes et plans d’Auvergne ». Celui-ci est depuis régulièrement enrichi par de nouveaux documents numérisés. Leur sélection et leur classification profitent, là encore, de la collaboration d’un comité scientifique associant plusieurs enseignants-chercheurs de l’Université Clermont Auvergne.

Ce partenariat s’est également concrétisé par une exposition virtuelle, « Quatre siècles de cartographie en Auvergne », réalisée à partir de nos collections. Accessible depuis la bibliothèque numérique Overnia, cette exposition réalisée en octobre 2012 à l’occasion d’un colloque universitaire organisé par la MSH présente non seulement une large sélection commentée et richement documentée des cartes et plans de la bibliothèque, mais propose également des outils didactiques pour appréhender et lire une carte ancienne. Cette exposition virtuelle constitue un précieux complément au corpus numérisé, qu’elle met en perspective et rend accessible à tous ceux qui souhaitent redécouvrir l’Auvergne à travers ces formidables vecteurs de connaissance et d’imaginaire que sont les cartes patrimoniales.