Haut et Bas Pays d'Auvergne

Au XIIIe siècle, le « haut pays » est connu sous le nom de pays des « Montagnes ». Le terme le plus courant dans la documentation est celui de « montanorum » qui caractérise politiquement la partie méridionale de l’ancien diocèse de Clermont. Il désigne un espace économique, des pâturages voués à l’estive plutôt qu’un paysage au relief accidenté et aux fortes altitudes. En 1705, dans la notice qu’il consacre à l’Auvergne, Michel-Antoine Baudrand relève la division en deux de cette province : « la haute Auvergne, que les habitants appellent souvent le haut pays, à cause qu’il est fort rempli de montagnes » et « la basse Auvergne qui est plus vers le Septentrion et le Levant. Les habitants l’appellent aussi le bas pays, à cause qu’il est pour la plupart composé de fort belles plaines ». Pour l’intendant Balainvilliers : « on trouve la même différence dans le caractère des habitants que dans le climat ; le penchant et les coutumes des peuples qui habitent la Limagne et les montagnes sont opposés » (1765).

Des aires d'attraction différentes

En relevant les indices d’interaction spatiale entre l’Auvergne et des zones géographiques périphériques au cours des XIIe et XIIIe siècles, Basse et Haute-Auvergne apparaissent dos à dos. Tandis que la première s’oriente vers l’est et le nord, la seconde construit l’essentiel de ses échanges en direction du sud et de l’ouest. Les contraintes géologiques ne peuvent expliquer seules ces orientations. Il faut également tenir compte de la proximité avec des centres de pouvoir relevant d’aires culturelles différentes : roi de France, comtes de Blois-Champagne, de Nevers et de Forez pour la Basse-Auvergne ; roi d’Aragon, comtes de Toulouse, de Rodez et de Ventadour pour la Haute-Auvergne.

Alliances matrimoniales et carrières ecclésiastiques témoignent d’une connivence de l’aristocratie de Basse-Auvergne avec la région de Lyon, la Bourgogne, le Dauphiné et le nord du royaume de France. Au XIIIe siècle, l’administration royale offre de belles carrières aux nobles. Humbert et Hérec de Beaujeu-Montpensier sont respectivement connétable et maréchal de France à la fin du règne de Louis IX. Au XIVe siècle, les Flotte et les Aycelin de Montaigut investissent la chancellerie royale, de Pierre Flotte (1300-1302) à Gilles II Aycelin de Montaigut (1356), en passant par Guillaume Flotte (1339-1346) et Gilles Ier Aycelin (1310).

La Haute-Auvergne est davantage perméable aux puissances méridionales. Tandis que le Limousin et la Basse-Auvergne se sont globalement ignorés au cours du Moyen Âge central, le cartulaire de l’abbaye d’Obazine conserve la trace de la présence des Escorailles, des Dienne, des Apchon, des Cheylade et des Fayet au sein de l’ancien diocèse de Limoges. Des liens de confraternité sont attestés entre les abbayes d’Aurillac, de Solignac et de Saint-Martial de Limoges. Les contacts entre le bassin aurillacois, le Rouergue et le Quercy sont favorisés par la transhumance, les alliances entre consulats (Aurillac, Beaulieu, Figeac et Saint-Céré) et l’enchevêtrement des relations féodales. Enfin, la vicomté de Carlat, « enclave rouergate dans le diocèse de Clermont », appartient au comte de Rodez, qui la tient en fief du roi d’Aragon depuis 1167.

L’aristocratie de la Haute-Auvergne n’apparaît pas dans l’entourage des comtes d’Auvergne, ces derniers n’ayant eu que très peu de droits dans la partie méridionale du diocèse. Dès 1110, l’abbé de Sens, en difficulté avec les Mauriacois révoltés, se rend à la cour de la comtesse d’Auvergne pour lui demander de l’aide. Elle lui conseille alors de se présenter au vicomte de Ventadour. Sans doute n’a-t-elle pas voulu s’engager dans une expédition périlleuse, compte tenu de la faible assise du pouvoir comtal dans la région.

Au XIVe siècle, si le couvent des Cordeliers d’Aurillac appartient à la province d’Aquitaine, les autres couvents situés en Basse-Auvergne relèvent de la province de Bourgogne ; les abbayes et prieurés sous sauvegarde royale de Basse-Auvergne ressortent au bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier et ceux de la Haute-Auvergne de celui d’Aurillac.

En matière d'architecture, Basse et Haute-Auvergne se distinguent assez nettement par les techniques de maçonnerie déployées pour la construction de leurs édifices religieux. Les églises romanes de Haute-Auvergne s’intègrent dans une aire monumentale méridionale et aquitaine, notamment par leurs portails percés latéralement et une façade occidentale aveugle, animée par des contreforts. Ces dispositifs demeurent exceptionnels au nord de l’ancien diocèse de Clermont, où la façade occidentale des édifices est généralement dépourvue de fonction d’accueil. La cartographie de la pénétration du gothique en Auvergne montre que l’« art français » a fortement intéressé le Bourbonnais (une soixantaine d’églises), un peu moins la Basse-Auvergne (une quinzaine de bâtiments principalement situés le long de l’Allier), et très peu la Haute-Auvergne. Il faut y voir une percée des références artistiques septentrionales qu’accompagne la progression du pouvoir royal. Le chantier phare, celui de la cathédrale de Clermont, débute dans les années 1240. Le style gothique ne s’impose véritablement en Haute-Auvergne qu’au XVe siècle, période qu’ouvre la construction de la cathédrale de Saint-Flour par des architectes liés à Jean de Berry (1398).

Carte générale des montagnes de la haute Auvergne par le Sr de Clerville, 1670 (BPCAM, CA DEL 1743)

L'émergence de la Haute-Auvergne

À la charnière des XIIe-XIIIe siècles, les interventions royales en Auvergne s’appuient sur les logiques d’organisation territoriales propre à la province. Elles se concentrent, tout d’abord, en Limagne et le long de l’Allier, en suivant la route appelée « régordane ». L’affirmation du souverain en Haute-Auvergne est effective lors de l’apanage d’Alphonse de Poitiers (1241-1271) qui institue un « bayle des montagnes ». Le premier connu, Eustache de Beaumarchais, porte alors le titre de « bajulus » (1257). Un mandement de 1269 indique que la partie méridionale de l’Auvergne ne constitue pas un bailliage à part entière, mais relève du connétable d’Auvergne, à Riom. Un compte de l’administration de Philippe le Bel précise l’étendue du « bailliage des montagnes » qui comprend les archiprêtrés de Saint-Flour, Aurillac et Mauriac. Le bailli des montagnes siège au château de Crèvecœur avant de se fixer à Aurillac, en 1366. Deux lieutenants sont, par la suite, installés à Aurillac et à Saint-Flour, pour y tenir leurs audiences. Jusqu’en 1455, les appels des sentences du bailli des montagnes sont portés devant le bailli d’Auvergne ou, sous Jean de Berry (1360-1416), devant celui de Saint-Pierre-le-Moûtier.

Les indices attestant d’une individuation de la partie méridionale de l’Auvergne se multiplient dans la seconde moitié du XIIIe siècle. L’apparition d’un officier spécifique de l’évêque de Clermont dans la région (1252) précède de quelques années la première mention d’un bayle des montagnes (1257). En 1313, l’administration parisienne distingue, dans un rôle de taille, des habitants originaires d’Aurillac de ceux d’Auvergne. Depuis le 9 juillet 1317, les montagnes d’Auvergne ont leur propre siège épiscopal à Saint-Flour.

C’est aux XIVe-XVe siècles que l’habitude se prend d’appeler le pays des Montagnes le « haut pays ». Les scribes royaux remplacent progressivement, dans les actes, l’expression « montagnes d’Auvergne » par « Haut pays des montagnes d’Auvergne », puis la simplifient en « Haut pays d’Auvergne » (1430-1450). La formule, de même que celle de « bas pays », s’applique surtout aux assemblées des bonnes villes, apparues dès 1346. Au nombre de treize en Basse-Auvergne (Aigueperse, Auzon, Billom, Brioude, Clermont, Cusset, Ébreuil, Issoire, Langeac, Montferrand, Riom, Saint-Germain-Lembron et Saint-Pourçain) et six en Haute-Auvergne (Aurillac, Chaudes-Aigues, Mauriac, Maurs, Saint-Flour et Salers). Leurs assemblées se tiennent séparément (dans ce cas, celle de Haute-Auvergne élit résidence à Aurillac ou Saint-Flour) ou dans une même ville (Clermont ou Issoire) lorsqu’il s’agit de statuer sur des dépenses communes.

La formalisation, par la monarchie, de la division entre la Basse et la Haute-Auvergne résulte d’une volonté de mieux administrer la province. Lorsqu’au XVIe siècle le roi installe des gouverneurs dans son royaume, celui d’Auvergne est assisté par deux lieutenants généraux : l’un pour la Haute, l’autre pour la Basse-Auvergne.

Sur le plan judiciaire, au bas Moyen Âge, la Basse-Auvergne ressort du Parlement de Paris. En revanche, l’incertitude existe quant aux litiges de la Haute-Auvergne. Le 18 juillet 1455, Charles VII proclame, par ordonnance, que les habitants de la Haute-Auvergne dépendent du parlement de Paris et non de celui de Toulouse, et que leur pays est situé « au païs en langue d’oïl et non de langue d’oc ». Plusieurs tentatives ont lieu afin de faire reconnaître au pouvoir royal qu’Aurillac relève du droit écrit. En 1277, lors d’un conflit entre l’abbé et les consuls, des habitants d’Aurillac déclarent qu’ils usent du droit écrit et « sont régis par lui depuis dix, trente ou quarante ans, depuis même un temps immémorial et, en tout cas, depuis aussi longtemps qu’il est nécessaire pour établir leur droit ». En 1510, il est admis que le bailliage des montagnes suit le droit écrit, même si Guillaume Chabrol déclare qu’il n’y a pas de distinction claire entre droit écrit et coutume. Il existe, de fait, des enclaves de droit écrit en Basse-Auvergne (Clermont, Issoire) et des enclaves de droit coutumier en Haute-Auvergne. L’élaboration de la coutume d’Auvergne fixe la limite entre les deux Auvergne : « Le Bas pays d’Auvergne s’étend jusqu’à la rivière de l’Alaignon, qui entre en Allier, et jusqu’à la rivière de la Rue […]. Et le Haut pays des montagnes d’Auvergne est depuis ladite rivière de la Rue en haut, tant que ledit pays d’Auvergne s’étend ». Il faut noter que le recours aux rivières de la Rhue et de l’Alagnon comme frontière est ancien. Dans la fausse charte de Landeyrat, sans doute fabriquée entre 1080 et 1103, la Rhue et l’Ander séparent la sphère d’influence de l’abbaye d’Aurillac de celle de l’évêque de Clermont.

N. de Fer, Les provinces [...] de la Haute et Basse Auvergne..., 1712 (BPCAM, CA 24 2)

N. de Fer, Les provinces [...] de la Haute et Basse Auvergne... (détail), 1712 (BPCAM, CA 24 2)

Source(s)

Archives départementales du Cantal, 365 F 7, no 21.

Bernadette Barrière (éd.), Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIe-XIIIe siècle), Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’Études du Massif Central, 1989.

Michel-Antoine Baudrand, Dictionnaire géographique et historique contenant une description exacte de tous les États, Royaume, Provinces, Villes, Bourgs, Montagnes, Caps, Isles, Presqu'isles, Lacs, Mers, Golfes, Détroits, Fleuves, & Rivières de l’Univers. La Situation, l’étendue, les Limites, les Distances, la Qualité de chaque Pays; les Forces, le Nombre, les Moeurs, & le Commerce de ses habitants, Paris, Denys Du Puis, 1705, 2 tomes.

Robert-Henri Bautier, Monique Gilles (éd.), La chronique de Saint-Pierre-le-Vif de Sens dite de Clarius, Paris, Éditions du CNRS, 1979.

Guillaume Michel Chabrol, Coutumes générales et locales de la province d’Auvergne, Riom, Martin Dégoutte, 1784-1786, 4 tomes.

Roger Grand, Les "Paix" d’Aurillac. Étude et documents sur l’histoire des Institutions municipales d’une ville à consulat (XIIe-XVe siècle), Paris, Sirey, 1945.

Auguste Molinier, Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers, Paris, Imprimerie nationale, 1894-1900, 2 vol.

Gustave Saige, Édouard de Dienne, Documents historiques relatifs à la vicomté de Carlat, recueillis et publiés par ordre de S.A.S le prince Albert Ier, Monaco, Imprimerie de Monaco, 1900, 2 vol.

Bibliographie

Boudartchouk Jean-Luc, Le Carladez de l’Antiquité au XIIIe siècle. Terroirs, hommes et pouvoirs, thèse de l'université Toulouse II-Le Mirail, 1998.

Boudet Marcellin, « Le Mont Cantal et le pays de Cantalès, d’après les plus anciens documents connus », Revue de la Haute-Auvergne, t. 3, 1901, p. 1-29.

Courtillé Anne, Auvergne et Bourbonnais gothiques, I – Les débuts, Nonette, Créer, 1990.

Fourniel Béatrice, Du bailliage des Montagnes d’Auvergne au siège présidial d’Aurillac. Institution, société et droit (1366-1790), Toulouse, Presses de l’Université de Toulouse 1 Capitole-CTHDIP, 2009.

Fray Jean-Luc, « Auvergne et Limousin : analyse historique d’une relation de basse intensité », Thomas Lienhard (dir.), Construction de l’espace au Moyen Âge, pratiques et représentations, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 103-116.

Fray Jean-Luc, « Des noms de la montagne au Moyen Âge », Siècles, no 30, 2009, http://siecles.revues.org/227

Garnier Florent (dir.), La coutume d’Auvergne. Formation et expression d’un patrimoine juridique, Revue d’Auvergne, t. 125, 2011.

Phalip Bruno, Seigneurs et bâtisseurs. Le château et l'habitat seigneurial en Haute-Auvergne et Brivadois entre le XIe et le XVe siècle, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d'Études du Massif Central, 1993.

Rigaudière Albert, Saint-Flour ville d’Auvergne au bas Moyen Âge : étude d’histoire administrative et financière, Paris, Presses universitaires de France, 1982.

Roux Caroline, La pierre et le seuil. Portails romans en Haute-Auvergne, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2004.