Les plans directeurs d’urbanisme :
un siècle d’élaboration en continu

Organiser la ville est une préoccupation ancienne des pouvoirs publics. À partir du XVIIe siècle, des mesures sont prises pour aménager la ville et réduire l'insalubrité. Au XIXe siècle, cette tendance se confirme, avec des lois réglant le régime des eaux usées, le droit à construire ou la protection des monuments historiques. C'est seulement à partir de la fin du XIXe siècle que les politiques d'urbanisme et le développement des activités humaines sont appréhendés. Ces réflexions visent à canaliser une expansion urbaine qui s’accélère. L'essor économique, la mixité sociale, la protection des populations, la préservation du patrimoine et de l’environnement deviennent également des enjeux. Un siècle durant, les lois se succèdent et se complexifient. La plupart se traduisent spatialement sous le terme de plans directeurs. Ces documents témoignent pour chaque époque de la manière de gérer, de penser, d’imaginer et de construire la ville.

1890 – 1960 : 70 ans d’élaboration

Le musée social, ancêtre des instituts de recherche modernes, fondé en 1894, rassemble des entrepreneurs, des ingénieurs, des universitaires et des hommes politiques. C’est sous son égide, qu’après le premier conflit mondial, se préparent les premières grandes lois d'urbanisme. La guerre a dévasté de nombreuses villes. À cette situation s’ajoutent des migrations de populations, entre les espaces ruraux et les zones urbaines. En 1919, la première grande loi due à Honoré Cornudet des Chaumettes (1861-1938) oblige les communes de plus de 10 000 habitants, sinistrées, pittoresques ou en extension rapide, à réaliser un plan d’urbanisme sous trois ans. Elle pose les grands fondements sur la manière d’appréhender l’urbanisme dont certains ont perduré : réalisation du plan de ville, prescriptions en matière d’assainissement, de voirie, d’espaces publics, d’archéologie, de forme architecturale des bâtiments… En 1924, une seconde loi introduit la notion de « planification urbaine ». Une commune doit prévoir son urbanisation future dans le plan d’aménagement. Il s’agit de dimensionner les voiries, les réseaux et de réglementer la manière dont les terrains à urbaniser sont lotis. Tous ces éléments représentent des conditions sine qua non de la délivrance d’un permis de construire. Il est donc défini pour chaque parcelle cadastrale un droit des sols qui garantit aux propriétaires et aux acquéreurs le respect des règles définies.

En Auvergne, une trentaine de communes sont concernées. Seulement huit iront jusqu’au stade de la déclaration d’utilité publique permettant l’approbation du document et sa mise en œuvre. À titre d’exemple, le plan d’Aurillac est adopté en 1922. Il montre des projets d’habitat, de voirie ou de parcs, qui ne seront pour l’essentiel pas réalisés.

La loi du 15 juin 1943 crée une « délégation à l’équipement national » et une « direction de l’urbanisme ». Elle renforce l’idée de planification en faisant évoluer les plans de villes en plans d’aménagement, précisant deux aspects juridiques importants : l’utilité publique de ces plans et l’absence d’indemnisation par la collectivité des propriétaires de parcelles qui se voient appliquer de nouvelles servitudes. Le plan d’aménagement de Vichy illustre cette période. Gaston Bardet (1907-1989), architecte et urbaniste, le met au point. Il établit une sectorisation en fonction des densités et des types de quartiers souhaités : habitat pavillonnaire plus ou moins dense, habitat collectif, espace résidentiel ou d’activités.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on entre rapidement dans une période de forte croissance économique et de développement des zones urbaines. La réglementation en vigueur devient inadaptée. Le décret du 25 août 1955 instaure le Règlement National d’Urbanisme (RNU). Les décrets et ordonnances des 31 décembre 1958 et 21 septembre 1959 établissent les Zones à Urbaniser par Priorité (ZUP). Elles permettent de planifier l’urbanisation de quartiers entiers, en maîtrisant le logement, les commerces, les espaces publics et les grands équipements. Elles ont pour objectif de rompre avec un urbanisme d’avant-guerre qui favorisait la spéculation, de résorber les logements vétustes ou détruits par la guerre, d’absorber plusieurs phénomènes démographiques concomitants (baby-boom, exode rural, accueil des populations immigrées). Plusieurs ZUP naissent en Auvergne : à Clermont-Ferrand, Les-Cézeaux-Les-Landais et La Plaine en 1960, Croix de Neyrat et Flamina en 1965, à Moulins, les Champins en 1967 et au Puy-en-Velay, Guitard en 1967.

Ce dispositif est doublé par des Plans d’Urbanisme de Détail (PUD qui définissent les règles à l’échelle de la parcelle), et par des plans directeurs qui donnent les orientations générales par grands secteurs (industrie, habitat, espaces de loisirs…).

Plan d'Aurillac (détail), 1922-2000 (Arch. dép. du Cantal, 1 Fi 513)

1960 – 1980 : 20 ans de développement

Une refonte complète et en profondeur des lois d’urbanisme est menée dans les années 1960. Elle débouche sur la Loi d’Orientation Foncière (dite LOF) de 1967. Ce texte peut être considéré comme fondateur de l’urbanisme appliqué aujourd’hui. Il entend, à la fois, planifier un aménagement du territoire équilibré et concerté à l’échelle nationale, et doter les communes importantes de documents de planification. Ils sont élaborés par l’État en associant les collectivités locales et les partenaires socio-professionnels.

La LOF distingue deux niveaux de planification, considérés du point de vue juridique, et du point de vue de l’échelle et des temporalités. Il s’agit du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) et du Plan d’Occupation des Sols (POS).

Le SDAU détermine les orientations fondamentales de l’aménagement des territoires intéressés, en particulier la destination générale des sols, le tracé des grands équipements d’infrastructure, l’organisation générale des transports, la localisation des activités et services les plus importants, ainsi que les zones préférentielles d’extension et de rénovation. Un rapport présente un état des lieux au moment de l’élaboration du document, puis, les principales perspectives d’aménagement retenues à moyen et long termes. Ces trois étapes sont traduites sur un plan de zonage. Le document est établi sous l’égide des Directions Départementales de l’Équipement par une commission locale composée, d’élus, de représentants des administrations et d’organismes économiques et professionnels.

En Auvergne, 6 SDAU ont été approuvés entre 1975 et 1983. La carte du schéma à long terme du SDAU de Clermont-Ferrand illustre les orientations d’aménagement telles qu’on les pensait en 1977 pour l’horizon des années 2000. On pourra comparer ce qui était prévu à l’époque (équipements structurants, développement de l’urbanisation, coupures vertes) avec ce qui a été effectivement réalisé.

Le plan d’occupation des sols (POS) est un second document qui fixe les règles générales d’utilisation des sols pour l’ensemble d’un territoire communal. Le POS est élaboré par les services de l’État (DDE) à la demande des communes qui le souhaitent. Ce document répond à cinq objectifs principaux : délimiter les zones urbaines et naturelles en tenant compte des aptitudes agronomiques ; fixer pour chaque zone un coefficient d’occupation des sols ; préciser le tracé et les caractéristiques des voies de circulation ; délimiter les secteurs patrimoniaux à protéger ; fixer les emplacements réservés pour les futurs équipements publics. Un plan de zonage est établi sur une base cadastrale. À chaque zone correspond un règlement.

Le POS de Montaigut-en-Combrailles, un des premiers élaboré dans le Puy-de-Dôme, illustre bien cette nouvelle manière de réglementer les espaces. On peut y lire la sectorisation de l’espace avec des zones U (urbaines) et N (naturelles).

L’état d’avancement des SDAU et des POS en Auvergne couvre essentiellement les zones les plus peuplées. La loi du 7 janvier 1983 (dite loi Deferre), relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État met en place un document simplifié qui prend le nom de « Modalités d’application du règlement national d’urbanisme » (MARNU) s’adressant plus spécifiquement aux communes rurales. Élaborées conjointement par la commune et l’État, elles étaient approuvées par délibération du conseil municipal, puis par arrêté préfectoral, et avaient une durée de validité de quatre ans. Ces documents non soumis à enquête publique ne sont pas considérés comme des documents d’urbanisme à part entière, ils ne contiennent pas de règlement mais sont une sorte de contrat entre l’État et la commune pour définir ce qu’on appelle les « parties actuellement urbanisées » dans lesquelles on va autoriser un certain développement « maîtrisé » cohérent avec la capacité d’équipement de la commune en réseaux d’eau, d’assainissement collectif notamment.

À partir du milieu des années 1980 les lois vont se multiplier afin de préciser des notions de protections des populations et du milieu naturel.

Concernant la population, on citera par exemple la loi du 13 juillet 1982 d’indemnisation des catastrophes naturelles, instituant la mise en place des PER (Plans d’Exposition aux Risques), puis la loi du 22 juillet 1987, organisant la Sécurité civile et la prévention des risques majeurs. Cette loi à travers les documents d’urbanisme fait le lien entre occupation des sols et prise en compte du risque naturel notamment en matière d’inondation.

Concernant le milieu, la loi du 12 juillet 1983 dite « Loi Bouchardeau 1 » lance un programme d’inventaire naturaliste et scientifique des espaces naturels à caractère remarquable : les Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF). Il ne s’agit pas encore d’une protection réglementaire du point de vue de l’urbanisme, mais la démarche montre la prise de conscience et annonce les futures lois de protection des milieux qui verront le jour à partir des années 1990.

SDAU Clermont-Fd, Schéma long terme, 1977-2000 (détail)

POS de la commune de Montaigut-en-Combraille, 1977 (détail)

Source(s)

Gaston Bardet, 1939-1942. Plan d'urbanisme, Vichy : plan d'aménagement de Vichy (éch. 1/20.000e), SIAF/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle, AR-21-03-12-02.

Loi du 14 mars 1919, « Plans d’extension et d’aménagement des villes », Journal officiel de la République française [JORF] du 15 mars 1919, p. 2726.

Loi du 19 juillet 1924, JORF du 22 juillet 1924, p. 6538.

Loi du 15 juin 1943, « D’urbanisme », JORF du 24 juin 1943, p. 1715.

Loi no 67-1253 du 30 décembre 1967, « D’orientation foncière », JORF du 3 janvier 1968, p. 3.

Loi no 82-600 du 13 juillet 1982, « Relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles », JORF du 14 juillet 1982, p. 2242.

Loi no 83-8 du 7 janvier 1983, « Relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État "loi Defferre" », JORF du 9 janvier 1983, p. 215.

Loi no 83-630 du 12 juillet 1983, « Relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement », JORF du 13 juillet 1983, p. 2156.

Loi no 87-565 du 22 juillet 1987, « Relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs », JORF du 23 juillet 1987, p. 8199.

M. Fournier, Plan d'Aurillac 1922-2000, dressé à Paris, le 3 août 1922, Arch. dép. du Cantal, 1 Fi 513.

Plan d'occupation des sols de la commune de Montaigut-en-Combraille, échelle 1/2 000e, approuvé par l'Arrêté préfectorl du 7 juin 1977.

SDAU, Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme, Auvergne, 1er mars 1983.

SDAU de Clermont-Fd, approuvé par le décret interministériel no 77.304 du 24 mars 1977, Schéma long terme, 2, Commission locale d'aménagement et d'urbanisme, Direction départementale de l'Équipement, échelle 1/50 000e.