La carte de Cassini
ou Carte de l'Académie
Villes, Bourgs, Villages, rien ne devait échapper, Châteaux, Chapelles, Prieurés ou Abbayes, Hameaux, Fermes, Piliers de Justice, Moulins à vent et à eau, Ecluses, Bacs, Ponts, grands Chemins et généralement tous les objets dont la connaissance peut être de quelque utilité… Autant il est avantageux à un souverain de bien connaître les pays qui sont sous sa domination, autant il est utile à ses sujets de bien connaître la position des lieux où leurs intérêts et leur commerce peuvent les conduire », César-François Cassini de Thury, 1783.
Ainsi décrit Cassini de Thury dans son Introduction à la Carte générale et particulière de la France ce que doit contenir la carte « détaillée » du Royaume qu’il projette de lever et son utilité. Une fois achevée la mesure du méridien de Paris, ainsi que le tracé de sa perpendiculaire à l’Observatoire, une Nouvelle Carte comprenant les principaux triangles qui servent de fondement à la description géométrique de la France, est présentée à Louis XV en 1744.
Les campagnes de levés peuvent alors débuter pour l’établissement de la triangulation détaillée de la France, autrement dit la mesure des angles des triangles dont les sommets sont des signaux établis en des lieux élevés, repérés dans le paysage à partir de stations d’observation. Ces mesures permettent d’établir les coordonnées des lieux par rapport à la Méridienne de Paris et à sa perpendiculaire à l’Observatoire.
La commande est passée directement par le roi en 1747 à César-François Cassini de Thury, petit-fils de Jean-Dominique Cassini, astronome italien appelé par Louis XIV en 1671 pour diriger les opérations de création de l’Observatoire de Paris. Les campagnes de levés du royaume (hors Nice, la Savoie, et la Corse) durent 41 ans, de 1749 à 1790. L’échelle choisie, 1/86 400e, permet l’établissement d’une carte générale (totalité du territoire) et particulière (détails des lieux). En mesure de toises (une toise du Chatelet = 1,949 mètre), il faut établir et graver 180 feuilles pour couvrir le royaume. Chaque feuille représente 40 000 toises Est-Ouest et 25 000 toises Nord-Sud, le point zéro étant l’Observatoire de Paris, au centre de la feuille de Paris, première à être levée et gravée en 1756. La publication des feuilles suivantes s’échelonne jusqu’en 1815, en tenant compte des rééditions du fait de corrections apportées aux premières gravures.
Plusieurs jeux des 180 feuilles sont aquarellés, et comme cela se faisait parfois à l’époque, chaque feuille découpée en 21 rectangles collés ensuite sur une toile de jute afin de permettre le pliage de la feuille. Le travail de réajustement des rectangles ayant été réalisé, les paramètres de la projection Cassini établis et les coordonnées en toises des quatre coins des feuilles étant portées, il est possible aujourd’hui, avec les Systèmes d’Information Géographique, de géo-référencer cet ensemble de feuilles et d’établir une correspondance avec les cartes actuelles.
Les campagnes de l’Auvergne, pour l’essentiel situées à l’est de la Méridienne qui effleure le Cantal à la hauteur de Mauriac sont parcourues par les ingénieurs pendant les années 1756-1776. De clochers en tours de châteaux et points culminants du paysage, ils effectuent les levés nécessaires, en dépit de résistances parfois rencontrées sur le terrain : population hostile, destruction des signaux élevés par les ingénieurs, refus des curés à ouvrir les portes de leur église, mauvaise information sur les noms des lieux (« les habitants eux-mêmes n’en sont pas d’accord »), intempéries, etc. Il s’agit de difficultés fréquemment rencontrées dans les autres provinces. Il faut graver 17 feuilles pour couvrir l’ensemble des territoires considérés : trois pleines feuilles (n°51, 52 et 53), les autres feuilles concernant en partie l’espace étudié. Leur publication s’échelonne entre 1760 et 1780. Traversée par la frontière de la langue d’oc et de la langue d’oïl, la formation de cette région relève de trois anciennes provinces : l’Auvergne en totalité (Puy-de-Dôme et Cantal) ; au nord, le Bourbonnais (l’Allier) et au sud, le Velay partie septentrionale du Languedoc (la Haute-Loire). Les limites entre ces trois provinces, lisibles sur la carte, sont fort imbriquées les unes dans les autres, générant de nombreuses enclaves.
Regardée à très grande échelle, le cône des Monts du Cantal est parfaitement identifiable. La vallée de l’Allier offre un paysage apaisé en comparaison des territoires montagneux dans lesquels elle s’insère du sud au nord, bordée à l’ouest par la chaîne des Puys. Le semis de clochers préfigure les futures communes, la quasi-totalité des paroisses prenant rang de municipalités en 1790. Peu d’églises succursales, pas de moulins à vent car, selon l’intendant de la généralité de Riom en 1697, « la chaîne des Puys contrarie les vents », mais nombreux sont les moulins à eau souvent petits centres de proto-industrie. Par ailleurs, la mention des commanderies signalent bien l’Auvergne comme une terre d’élection de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
Source(s)
Cassini de Thury César-François, [Illustrations de La Méridienne de l'observatoire royal de Paris vérifiée dans toute l'étendue du royaume par de nouvelles observations], 1744, Observatoire de Paris, ark:/12148/btv1b2600139h
Cassini de Thury César-François, Avertissement ou Introduction à la carte générale et particulière de la France, [1756], BnF Ge-FF-4296(1), ark:/12148/bpt6k680155
Pour aller plus loin : http://ladehis.ehess.fr/index.php?355