Clermont-Ferrand et son environnement
au XVIIIe siècle
En 1731, Louis XV confirme l’union de Clermont et de Montferrand pourtant entérinée dès 1630. Au siècle précédent, le principal artisan de ce projet est Antoine Ruzé Coëffier, marquis d’Effiat, gouverneur de la province d’Auvergne. Son décès en 1632 ne permet pas à l’édit de s’appliquer. Les édiles de Montferrand n’étaient guère enclins également à favoriser cette fusion. Il faut attendre l’arrivée en 1730 d’un nouvel intendant, Daniel-Charles Trudaine, pour voir l’exécution d’une telle décision.
La carte dressée en 1739 est d’autant plus intéressante qu’elle est la première à proposer une vue générale « de la ville et des environs de Clermont-Ferrand ». Le concepteur en est Simon Antoine Lescuyer de La Jonchère (vers 1689-1747). Il est le fils d’Antoine Lescuyer, « commissaire contrôleur et receveur général des saisies réelles en Auvergne », seigneur de La Jonchère et des Vergnes (terres situées au nord de la ville). Simon Antoine connait un parcours surprenant. Ses biographes affirment qu’à l’âge de 15 ans seulement, il commandait un vaisseau de 24 canons et 160 hommes d’équipage ! À celui de 18 ans, il avait parcouru « l’Europe, l’Afrique et une partie des îles de l’Amérique ». En 1708, il est présent lors du siège de Lille conduit par le prince Eugène de Savoie. Dans les années suivantes, devenu ingénieur du roi, il publie en 1718 une Nouvelle méthode de fortifier les plus grandes villes. En 1720, il est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Système d’un nouveau gouvernement en France. De retour en Auvergne, il s’installe dans le château des Vergnes. C’est depuis le donjon de cette bâtisse, « retraite de l’auteur », qu’il observe le territoire environnant. Le paysage qui s’offre à lui le conduit à concevoir une œuvre qui a souvent dérouté ses commentateurs.
Orientée est-ouest, la carte se présente sous la forme d’un plan, pour le plat pays, et offre une perspective pour le relief. Le titre se trouve dans un cartouche surmonté des armes du duc de Bouillon. Cette dédicace explicite rend hommage à Charles-Godefroy de la Tour d’Auvergne (1706-1771), gouverneur provincial depuis 1728. L’échelle s’accompagne également des armes de France, de la province d’Auvergne et de la ville de Clermont. Gravée par Desbruslins, issu d’une famille parisienne bien connue de « graveurs en géographie », son originalité tient au fait qu’elle propose deux types de représentation des villes nouvellement réunies : d’une part sous la forme d’un plan schématique, d’autre part selon un dessin en coupe des deux cités. Une légende accompagne chacune d’entre elles. Riom bénéficie également d’une présentation détaillée de son plan.
Si les marais au nord de la Limagne, ou les vignes situées sur les contreforts sont bien visibles, la carte n’est pas exempte d’inexactitudes. Ainsi, la route de Paris au Languedoc est signalée comme passant par Clermont alors qu’en réalité elle contourne celle-ci par Herbet. Pour autant, plusieurs annotations témoignent de la bonne connaissance du territoire représenté. Ainsi, est-il fait mention de « Gergovia. Montagne renommée […] où Cezar (sic) fut battu par Vercingentorix (sic), roi des Auvergnats, élu généraliss[ime] des Gaulois ».
Conscient de la discontinuité territoriale entre les deux cités, Lescuyer de La Jonchère suggère d’arborer le chemin reliant Clermont et Montferrand « pour l’union parfaite des deux villes ». En l’espèce, il se pose en aménageur de l’espace public. On croit déceler ici un message politique de l’auteur du Système d’un nouveau gouvernement en France. Par ailleurs, La Jonchère a le souci du détail dans la représentation des lieux et des principaux bâtiments urbains.
Par ailleurs, cette carte est accompagnée d’un « abrégé historique de la ville de Clairmont-Ferrand ». Le préambule insiste sur le désarroi de l’auteur au regard de cartes qui ont « omis plus de cent trente paroisses […], châteaux ou domaines remarquables ». Il est vrai que les cartes dont il disposait, dont celle de Jaillot, produite en 1715, ne pouvaient mentionner tous les lieux habités. Notre érudit entend faire œuvre utile en rétablissant ces derniers. Il signale également combien la Limagne serait « la plus riche si les marais étoient dessechés, et mis en état de produire les grains et les fourrages qui lui conviennent ». En effet, si le lac de Sarliève est bien signalé comme « desseché », tel n’est pas le cas du « Grand » et du « Bas » marais, situés au nord. Ces derniers seront en voie complète d’asséchement seulement à la fin du XVIIIe siècle. Un projet, adressé au roi en 1713, prévoyait de « produire en abondance du grain pour la Province et du chanvre pour les arsenaux de la Marine ». En 1715, l’intendant de Nointel, entendait également réduire les maladies épidémiques causées par la stagnation des eaux croupies. Il semble que La Jonchère ait été bien informé des opérations hydrauliques en cours.
Source(s)
BPCAM, A 10625 et A 32139, [Étienne] Lescuyer de La Jonchère, Abrégé historique de la ville de Clairmont-Ferrand, capitale de la province d’Auvergne, 1739.
BPCAM, Ms 1016, fol° 302-321, fond Paul Le Blanc, « Lecuyer de la Jonchère ».
Bibliographie
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Gille Bertrand, « Les transformations de Clermont au XVIIIe siècle », Revue d’Auvergne, t. 83, 1969, p. 85-134.
Girard Jacques, Femmes et hommes célèbres ou remarquables de l’Auvergne, du Bourbonnais et du Velay : dictionnaire biographique et historique, Olliergues, La Montmarie, 2005.
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