Territoire et peuplement
de l’Auvergne à l’époque romaine

La mise en œuvre de méthodes d’archéologie spatiale renouvelle en profondeur notre connaissance du peuplement de l’Auvergne à l’époque romaine. L’un des objectifs prioritaires de ces recherches est de fournir une image plus homogène de l’habitat en s’efforçant de rééquilibrer le déficit des données disponibles pour les secteurs de moyennes montagnes, qui couvrent plus des trois quarts de sa superficie. Pour y parvenir, deux types d’approches ont été combinées : des études microrégionales au sein de « fenêtres » ouvertes en différents points du territoire, ainsi que des approches thématiques portant sur des formes spécifiques de l’habitat, de son aménagement et de son économie (agglomérations, villae, sanctuaires, réseau routier, productions et échanges). Les résultats présentés concernent le territoire arverne au début de l’époque romaine (Ier-IIIe s. ap. J.-C.).

Méthodes d’investigation

Deux méthodes d’investigation archéologique ont été privilégiées : la prospection pédestre systématique et la prospection aérienne à basse altitude. Particulièrement efficace dans les zones cultivées, où elle est pratiquée sur les sols nus après les labours, la prospection pédestre systématique consiste à parcourir méthodiquement les champs avec un espacement maximal de dix mètres entre les prospecteurs afin de détecter, de localiser par GPS et de collecter tous les signes d’occupation anciens : sites, indices de sites, objets isolés,... Il s’agit principalement de concentrations de matériaux de construction (moellons, tuiles, mortier, hypocauste, enduit peint, marbre, mosaïque…) et de mobilier (céramiques, amphores, objets divers, notamment petit mobilier métallique : monnaies, fibules, outils…). Ces indices, extrêmement nombreux à la surface du sol dans certains secteurs (comme la Limagne), permettent de caractériser, sans fouille, des établissements de toutes périodes du point de vue de leur superficie, de leur chronologie, de leur mode de construction et de leur(s) fonction(s). Les prospections aériennes et éventuellement géophysiques (prospection électrique, magnétique, géoradar) et par lidar (scanner laser aéroporté) viennent compléter cette première approche notamment en fournissant des plans de bâtiments et en permettant d’explorer les zones non labourées dans les secteurs montagneux. Des sondages et des fouilles archéologiques peuvent être ciblés sur certains sites pour répondre à des questions particulières, mais ces méthodes « classiques » sont peu appropriées pour traiter la masse considérable des données archéologiques produites par les méthodes de l’archéologie spatiale (les sites se comptent par milliers et même dizaines de milliers à l’échelle d’une région, par centaines à l’échelle d’une commune). Dans cette perspective, l’utilisation de systèmes d’information géographique (SIG) joue un rôle central pour l’archivage, l’analyse, l’interprétation et la cartographie des données.

Parallèlement, la mise en œuvre des méthodes de l’archéologie environnementale (géoarchéologie, archéobotanique, archéozoologie, archéochimie) permet de reconstituer une dimension fondamentale des systèmes de peuplements anciens ‑ les paysages agraires ‑ dans leurs différents aspects (végétation, cultures, élevage, défrichements, drainages, aménagements). La question de l’impact des sociétés anciennes sur l’environnement occupe désormais une place centrale dans la réflexion des archéologues et des paléoenvironnementalistes.

Une douzaine de fenêtres d’étude microrégionales ont été ouvertes sur l’ensemble de la cité des Arvernes, afin d’obtenir l’image la plus représentative possible des systèmes de peuplement successifs à l’échelle de ce territoire : Grande Limagne, Chaîne des Puys, Haute Combraille, Moyenne vallée de la Sioule, Limagne bourbonnaise, Bassin de la Veyre, Lembronnais, Bassin de Brioude, Haut Alagnon, Bas Alagnon, Bassin d’Aurillac, Livradois-Forez. L’acquisition, dans chaque fenêtre, de données archéologiques et si possible paléoenvironnementales selon un protocole commun doit assurer la comparabilité des résultats et autoriser leur interprétation à l’échelle régionale.

Les approches thématiques, conduites à l’échelle de plusieurs cités du Massif central (Arvernes, Lémovices, Cadurques, Rutènes, Gabales, Vellaves), sont centrées sur différents marqueurs de développement des territoires : voies de communication, agglomérations, villae, sanctuaires, indices de défrichements et de mise en valeur agropastorale, activités artisanales et minières, consommation de céramique et de métal, témoignages épigraphiques, iconographiques et littéraires de la présence aristocratique, impacts sur l’environnement.

Une image profondément renouvelée de l’occupation du sol

Le croisement de l’ensemble des données ainsi acquises permet d’esquisser une géographie profondément renouvelée de la cité des Arvernes pour l’époque romaine. D’un point de vue purement quantitatif, les corpus de sites ont été considérablement augmentés grâce à l’apport de nombreuses données inédites issues des prospections. D’un point de vue qualitatif, l’analyse critique des données antérieures et l’apport de données nouvelles de qualité ont permis de dresser des bilans complets et fiables par types d’établissements. Ainsi, en 2002, 22 agglomérations secondaires ‑ pour la plupart non documentées ‑ étaient envisagées de manière très hypothétique pour l’ensemble des quatre départements de la Région Auvergne. À l’issue de la thèse de Florian Baret, 16 agglomérations sont avérées et 22 sont considérées comme hypothétiques, soit potentiellement 38 agglomérations antiques. En ce qui concerne les sanctuaires, 39 étaient recensés dans la base Patriarche en 2005. Le travail de Claire Mitton a permis de rejeter 19 d’entre eux et d’en valider 20 ; mais surtout, il porte à 51 le nombre de sanctuaires avérés et à 51 le nombre de sanctuaires hypothétiques, soit potentiellement 102 sanctuaires antiques. Les recherches conduites dans plusieurs fenêtres montrent que ces lieux de culte peuvent être les indicateurs de l’existence d’agglomérations, comme au Col de Ceyssat, à Blanède ou à Allanche. Il s’agit là d’une piste de recherche intéressante pour la reconnaissance future des agglomérations antiques dans les espaces de moyenne montagne. En ce qui concerne les villae, un bilan est en cours de réactualisation à l’échelle de la cité arverne. Si l’on s’en tient au seul bassin de Clermont, une quarantaine de villae étaient recensées dans la Carte archéologique du Puy-de-Dôme en 1994. Leur nombre est passé à 126 en 2004 suite aux prospections systématiques engagées dans ce secteur. Il a encore augmenté depuis. Or il s’agit là des établissements ruraux les plus faciles à reconnaître en surface. Dans le même temps, le nombre des petits et moyens établissements de type « ferme » s’est considérablement accru. Surtout, la caractérisation archéologique de l’ensemble de ces établissements a beaucoup progressé, ainsi que notre perception des modalités de l’occupation et de la mise en valeur des sols. Enfin, la reconnaissance et la caractérisation du réseau viaire antique ont fait de grands progrès grâce à la thèse de Marion Dacko, qui s’appuie sur 2 000 km de prospections pédestres linéaires et 340 observations de terrain.

Parallèlement, de nombreuses études paléoenvironnementales interdisciplinaires et diachroniques ont été conduites en différents points du territoire, notamment dans le Grand Marais de Limagne, dans le paléolac de Sarliève, en haute Combraille, dans les Monts du Livradois-Forez et dans le nord-est du Cantal. Tous ces travaux, réalisés dans le cadre du programme DYSPATER (Dynamiques spatiales du développement des territoires dans le Massif central de l’Âge du Fer au Moyen Âge), viennent compléter les très nombreuses opérations d’archéologie préventive réalisées sur l’ensemble de ce territoire.

La carte dresse un bilan de ces données pour les principales formes de l’habitat gallo-romain : agglomérations secondaires, sanctuaires, villae et ateliers de potiers. Elle montre que la vallée de l’Allier et plus encore le bassin de Clermont et la Grande Limagne constituent un axe de peuplement et de développement majeurs à l’époque romaine. Le réseau routier, très centralisé, semble avoir fortement conditionné la répartition géographique des établissements, notamment celle des agglomérations secondaires. L’un des principaux apports des recherches récentes réside dans la mise en évidence d’un réseau relativement homogène d’agglomérations, certes plus nombreuses dans la vallée de l’Allier mais néanmoins bien présentes dans les massifs montagneux, où des foyers de développement particulièrement dynamiques sont localement identifiés, notamment en haute Combraille et dans le Cézallier. On a donc finalement l’image d’un territoire au sein duquel les dynamiques de développement régional apparaissent plus complexes qu’on ne l’imaginait il y a quelques années.

Bibliographie

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